Télétravail et santé mentale

12 janvier 2022

Article écrit en collaboration avec M Jean Poussin

Dans le contexte sanitaire que nous connaissons depuis bientôt deux ans, la réglementation sur le télétravail varie en fonction des courbes de l’épidémie, tout comme les incitations gouvernementales.

Le télétravail demeure fortement encouragé, mais sa mise en place est peu contrôlée.

Toujours est-il qu’une partie importante des salariés sont toujours en télétravail, et nombre d’entreprises ont du mal à faire revenir leurs employés sur site. Les dernières annonces du gouvernement, en date de fin décembre 2021, préconisent même de passer à trois ou quatre journées de travail par semaine lorsque cela est possible.

De ce fait, on voit surgir une multitude d’études sur le télétravail, en raison des conséquences qui éclaboussent toutes les dimensions de notre existence : sens et utilité de son travail, équilibre entre vie personnelle et professionnelle…

Une question souvent peu prononcée est la suivante : Le cœur du travail est-il « télétravaillable » ? Autrement dit, le télétravail et ses multiples déclinaisons peut-il être généralisable ?

Le télétravail est souvent associé au confinement, or il existait avant le confinement.

Pour autant, ce dernier et ses conséquences nous ont mis face à des vérités qui jusqu’à présent étaient peu posées, peu élaborées, si ce n’est peut-être dans certains secteurs tel que le numérique.  Et comme pour tout changement, il y a certaines réalités que l’on préfère ne pas penser, pour éviter une remise en question voire une conduite de changement douloureuse.

Jean Poussin : Comme tant de Français, j’ai découvert le télétravail brutalement, un jour de mars 2020. Avant, ce sujet ne m’avait jamais effleuré. J’allais au boulot tous les jours, c’est tout.

Ce jour-là, il faisait gris et froid. Il y avait comme un air de fin du monde. Les gens se hâtaient pour rentrer chez eux, tout allait fermer. J’ai chargé mon ordinateur et mes classeurs dans ma voiture. Sur le parking, devant mon coffre ouvert, j’ai écouté les dernières recommandations de ma directrice. Dans ma tête j’entendais Jim Morrison chanter This is the end.

Le télétravail fut donc d’abord une sorte de refuge. Il fallait se protéger, se cacher du virus. Dans mon cas, cela ne répondait à aucune autre nécessité. Nous sommes partis en télétravail sans méthode, sans plan précis. On allait devoir improviser.

Aujourd’hui on évoque les termes de bureau fragmenté, de travail hybride, de flexi-travail… un nouveau jargon et de nouveaux codes pour dessiner cette ergonomie du travail.  Pascal Picq parle de révolution anthropologique1 qu’il associe à la révolution numérique. Une chose nouvelle qu’il s’agit de penser.

Le télétravail amène donc une pensée et un accompagnement différents. Le confinement a mis ce questionnement sur le devant de la scène.

On connaît les reproches faits au télétravail :

  • Des outils et des logements qui ne sont pas forcément adaptés
  • Le danger de l’isolement
  • Une dilution du temps collectif
  • Une montée des incivilités numériques
  • Des burn-out…

Mais qu’en est-il de ses avantages ? Loin de nous l’idée de simplifier cette question ô combien épineuse mais de soulever une réflexion individuelle. Au fond, cette question du télétravail et de ses enjeux nous invite, nous psychologue, à aborder cette question sous l’angle de la santé mentale.

Pour comprendre l’impact du télétravail encore faut-il se poser la question : par quoi passe la santé mentale ?

Les dernières Assises de la santé mentale (septembre 2021) en donnent la définition suivante :

La santé mentale est un état de bien-être dans lequel un individu peut réaliser son propre potentiel et faire face aux situations normales de la vie et au stress qu’elles génèrent. Une personne en bonne santé mentale peut notamment contribuer à sa communauté et travailler de façon productive. La santé mentale est donc un état de bien-être physique, mental et social complet et n’est pas simplement l’absence de troubles mentaux.

Jean Poussin : C’est bien pourquoi j’ai mis si longtemps à prendre le chemin d’une psychothérapie. Je ne me sentais pas particulièrement mal ; aucune grande souffrance ne me tordait le cœur. Mais je n’avais pas d’élan, tout simplement, et en général on ne vous apprend pas que cela suffit pour prétendre se faire soigner. Je ne me sentais pas légitime à demander de l’aide : de quoi aurais-je pu me plaindre ? Et pourtant. Force est de constater que je ne contribuais pas à ma communauté. Ou si peu. Quant à travailler de façon productive… J’y avais depuis longtemps renoncé.

Une bonne santé mentale permet aux individus de :

  • Réaliser leur plein potentiel ;
  • Faire face aux stress de la vie ;
  • Travailler de manière productive ;
  • Faire des contributions significatives à leurs communautés ;

Plusieurs moyens permettent de maintenir une bonne santé mentale :

  • Avoir des liens positifs et significatifs avec d’autres personnes ;
  • Être actif physiquement ;
  • Aider les autres ;
  • Dormir suffisamment ;
  • Avoir une alimentation saine ;
  • Développer des habiletés d’adaptation et de gestion du stress ;
  • Rire ;
  • Prendre le temps de faire des activités plaisantes ;
  • Obtenir de l’aide professionnelle si nécessaire ;

Il est normal que la qualité de notre santé mentale fluctue au cours de la vie. Se sentir plus déprimé en hiver ou être en détresse suite à une rupture amoureuse représentent des fluctuations normales et saines de la santé mentale. Lorsqu’un individu fait face à de telles difficultés ou vit du stress qui surpasse ses capacités d’adaptation, il peut développer un trouble de santé mentale.

La santé mentale est donc le résultat de cet équilibre existant entre le stress – financier, relationnel, professionnel, etc. – vécu par un individu et ses capacités à y faire face.

Le développement d’un problème de santé mentale est donc un malheureux concours de circonstances qui combine des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux à un contexte propice, soit l’augmentation des stress et la diminution des capacités d’adaptation.

Focus sur  la fonction symbolique du travail qui semble malmenée : le sens du travail

Le travail est un lieu de réalisation de soi où l’on peut mettre en jeu ses compétences relationnelles, techniques, sa créativité, un lieu d’apprentissage et de construction de soi au travers de ses tâches, mais aussi au contact des autres. Le travail est en effet un lieu de socialisation où se jouent des codes, des échanges, des confrontations mais aussi du lien, du soutien, de l’écoute…

Jean Poussin : J’ai longtemps refusé toute idée de socialisation au travail. Pour moi, il fallait aller au travail parce que c’était obligatoire, parce qu’on en avait besoin pour subsister. Les gens que j’y croisais ne faisaient pas partie de ma vie. C’est du moins ce que je voulais me dire. Je n’y trouvais ni lien, ni soutien, ni écoute. Mes collègues étaient des meubles comme les autres.

Dans ce sens, le travail est un espace de régulation psychique et émotionnel : un espace contenant les angoisses individuelles. Le télétravail peut donc de facto être vécu comme angoissant, en supprimant ces espaces de régulation. Les salariés se trouvent désormais seuls devant leurs tâches. Les petites régulations collectives, celle du quotidien, sont réduites à néant, confrontant chacun à ses incapacités, ses difficultés. Toutes ces régulations informelles, les « coups de main » qui mettent de l’huile dans les rouages, etc., disparaissent avec le télétravail.

Jean Poussin : J’avais horreur du café du matin entre collègues. Je me cachais pour fumer, redoutant ces pauses clopes où il faudrait dire des trucs à ces gens-là. Personne ne mettait de l’huile dans mes rouages. De ce point de vue, je ne perdais pas grand-chose en partant en télétravail.

Télétravail, travail hybride, flexi-travail… autant de termes qui viennent perturber nos références. C’est ainsi que l’individu et sa santé psychique, friands de repères, de routines, bref d’un cadre sécurisant, se trouvent en situation de stress. Stress dû à la mobilisation des capacités d’adaptation et leurs dépassements. Dans nos consultations nous travaillons certes sur le réel, mais bien plus encore sur l’interprétation du réel par nos patients. Le vécu subjectif est source d’angoisse. Aussi, là où certains voient dans le télétravail des opportunités, d’autres y vivent des contraintes.

D’un autre côté, le télétravail permet aussi de vivre son travail avec un autre investissement psychique. Cette autonomie a permis à certains de repenser la fonction du travail, de mettre à distance une charge émotionnelle vécue comme trop pesante. Dans nos consultations, nombreux sont celles et ceux qui ont caractérisé le télétravail comme une « soupape » face au burn-out, à l’épuisement professionnel. Être à la maison, éloigné du collectif, peut permettre d’offrir un espace d’élaboration de son propre rapport au travail. Certains ont ainsi modifié, régulé, élaboré un autre rapport au travail alors que d’autres, au contraire, ont vécu un effondrement psychique.

Jean Poussin : Au début, j’ai cru que le télétravail serait cette soupape. Cette opportunité. Voyez-vous, c’est pas mal chez moi. C’est même vraiment chouette. Ma maison est un havre de paix. J’étais à l’abri de toute relation humaine intempestive, il n’y avait là que des gens que j’aime, filles, épouse, chats. J’étais très bien équipé en informatique. J’allais peut-être aimer ça, le télétravail.

Mais j’ai vite déchanté. Les collègues sont revenus par la fenêtre. En quelques jours, nous étions devenus experts en solutions de vidéoconférences, et il a fallu que je les invite dans ma chambre. Oui, car mon bureau était dans ma chambre. Tous ces gens, qu’en temps normal je n’aurais même pas laissé dépasser mon paillasson, ils étaient là, sur mon lit. Ils regardaient mes livres, ils caressaient mes chats. Je n’étais pas en reste, en matière de voyeurisme : j’aimais bien voir comment c’était, chez eux.  Le peu que j’en apercevais. Je m’ennuyais tellement.

Et la solitude sourdement faisait son œuvre. Mis à nu, mon travail m’est apparu dans toute sa désolation. Je me suis effondré en douceur. La voie a commencé à s’ouvrir, la fissure, la déchirure qui allait me conduire jusqu’à la consultation.

Autre avantage du télétravail : il peut permettre de retrouver du plaisir à être ensemble, et organiser ce corps collectif. Il enlève de facto les « réunionites » : moins nombreuses, les réunions deviennent plus efficaces.

Il reste que travailler dans les locaux de l’entreprise ou de chez soi, ce ne peut être la même chose.

On ne fait pas tout à fait la même chose au travail et à la maison et donc la vie en télétravail ne peut être reproduite à l’identique à la maison. Il s’agit là d’une utopie, créant plus d’inconfort et d’enfermement que de capacité créative. Or le télétravail sollicite la créativité des salariés. Nous pouvons le noter avec le COVID, en un temps record nous avons dû tous nous adapter, négocier avec notre psychisme, casser nos repères et ceci à chaque saison de confinement.

Il me semble aussi important de ne pas réduire la question du télétravail à ce que l’on nomme le « home office » c’est-à-dire le travail à domicile. Bien avant le confinement, la question du télétravail a fait émerger de nombreux espaces de coworking.

Réduire la question du télétravail à la crise sanitaire, c’est nier une autre réalité de l’ergonomie cognitive. Rappelons que nous avons vu naitre dans les entreprises une volonté de réduction des coûts avec entre autres la naissance des open spaces et du flexi travail (on dit également flex office) c’est-à-dire un espace de travail hydride. On affirme souvent que le télétravail va tuer le collectif. Pour autant les open spaces n’ont pas garanti une meilleure cohésion d’équipe. Au contraire, les psychologues, les ergonomes sont intervenus pour réguler les communications, qui étaient souvent réduites à un échange de mails avec son voisin de bureau,  voire  la naissance de  comportements inadaptés par volonté de réduire les nuisances sonores des collègues. Sans parler de cette plainte récurrente qui est la perte d’une certaine intimité.

Le rôle des managers

De façon globale, les questions du collectif, de l’animation, de l’entraide et de la motivation sont au cœur des préoccupations managériales depuis toujours. Le monde sportif peut apprendre au manager comment créer et fédérer. Prenons l’exemple très inspirant de Claude Onesta, manager général de l’équipe de France de handball, qui souligne l’importance de la collaboration collective comme clé de la réussite2.

C’est ainsi que notre activité de préparatrice mentale trouve de plus en plus sa place en entreprise.

Alors la question qui semble se faire jour est la suivante : comment passer d’un groupe à un collectif et du collectif à une équipe ?

Quel rôle peuvent jouer les managers dans l’organisation du télétravail ?

La formation des managers est trop souvent tournée vers une fonction de contrôle, voire de surveillance, alors que le télétravail demande souplesse, confiance et autonomie.

Pour les managers, l’accent doit être mis sur le développement des « soft skills » c’est-à-dire les capacités relationnelles ou compétences humaines, qui vont permettre de créer du lien : communication interpersonnelle, empathie, capacité d’écoute… La préparation mentale est au cœur de cette problématique, en traitant la question du mind set ou en bon français l’état d’esprit par la cognition.

Jean Poussin : Je connaissais les soft drinks, pas trop les soft skills. Je me savais bourré de compétences humaines : un garçon si attachant. Peut-être me manquait-il ce manager qui saurait mettre mes soft skills en valeur. Mais de toute façon, je n’aurais pas voulu : mettre mon humanité au service du travail, c’était pour moi la rabaisser. Une erreur dans laquelle je m’obstinais.

Les managers se retrouvent dans cette difficulté : organiser le travail mais cette fois-ci à distance, animer et fédérer en utilisant des moyens innovants qu’ils soient techniques, humains, relationnels. Pour se faire, le manager doit créer des repères de valorisation du travail, de reconnaissance du processus même du travail c’est-à-dire des compétences, mais aussi des difficultés, du vécu. Le manager de demain est en charge de créer de nouveaux étalonnages de valorisation et de mesure du travail. Pour ce faire, il doit trouver des ressources dans et en-dehors de son organisation, lui permettant de faire un pas de côté, oser casser ses habitudes et créer un espace de réflexion. Sans cet espace, rumination, sentiment de perte de contrôle, baisse d’estime de soi seront au rendez-vous.

Il faut négocier autour d’une hybridation devant ce stress et cette incertitude.

La question en écho est aussi d’identifier si les salariés en télétravail, dans leur cycle de progression, ont ces capacités et ces compétences d’autonomie.

L’impact au niveau individuel

Les normes et les repères ont été modifiés voire, pour certains, déconstruits au niveau de leur lieu sécure, que l’on parle de leur habitat ou du bureau, des normes en termes de code relationnel.

En télétravail, le salarié a moins accès aux ressources de l’organisation, ce qui peut générer du stress. L’individu est laissé seul dans son quotidien pour réguler ses difficultés.

Les temps informels étant rompus, le salarié doit formaliser ses demandes. Or on sait que demander et faire preuve d’affirmation de soi, de confiance en soi, sont les principaux motifs de consultation. C’est ainsi que le télétravail impacte le salarié dans sa capacité à mettre en œuvre des compétences comportementales d’autodiscipline, d’affirmation de soi : Habilité sociales / soft skills pour réguler les temps informels.

Jean Poussin : N’ayant pas grand-chose d’autre à faire valoir que ces qualités humaines, le télétravail a révélé pour moi toute l’étendue du désastre. J’ai mis longtemps à comprendre. Je ne pouvais pas comprendre tout seul. J’ai trouvé le chemin du cabinet. J’y ai trouvé la bonne personne, qui n’attendait que moi (et mes soft skills).

Et peu à peu j’ai compris que je pouvais servir à quelque chose. Que je n’étais pas un bon à rien.

Souvent on pointe le télétravail comme facteur de déstabilisation de l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle. Mais le télétravail a aussi permis de partager la vie autrement, en prenant en considération que nous sommes des êtres pluriels. Cela me semble utopique de penser que nous sommes que professionnel ou que personnel. Lorsqu’on se balade en entreprise, la vie personnelle s’invite sur les bureaux au travers des photos, de l’aménagement des emplois du temps ou des discussions. La question de la rupture de l’équilibre se pose lorsqu’il y a un grain de sable dans l’une des sphères et qui vient impacter les autres sphères.

Mais le télétravail a aussi posé la question d’une réorganisation urbaine. Une étude des DRH montre que 30  % des DRH ont été impactés par les déménagements de leurs salariés durant la crise. Certain ont donc profité du télétravail pour changer de vie. Dans ce sens, c’est aussi aux territoires de mettre en œuvre des zones d’attractivité pour éviter la migration.

Aussi, encore une fois la mise en place du télétravail suppose une négociation au niveau individuel, managérial, et du collectif de travail en remettant au centre les objectifs de l’entreprise et les évolutions sociétales.

En conclusion

Les mots ont un sens et le télétravail se voit affublé de déclinaisons qui traduisent des réalités souvent bien différentes : « home office », fléxi-travail, coworking, « full time », travail hybride… on en perd son latin. Le télétravail est souvent réduit aux dimensions organisationnelles, facilement négociables, alors qu’en réalité il convient de l’aborder de façon protéiforme en posant comme négociation le sens, la forme, le temps… ll est important de ne pas réduire le télétravail à une question d’ergonomie de bureau ou de vie au travail et hors travail. Il est une occasion de repenser le travail dans son ensemble.

En tant que psychologue et préparatrice mentale mon travail consiste à :

– Accompagner les salariés à créer des routines de travail et les aider à identifier les moments où ils travaillent le mieux. Les outils tels que la chronobiologie ou l’ergonomie cognitive sont une guidance indispensable. Concrètement, cela permet de structurer la journée de travail avec des temps de pause, de lien social et de ressources physiques, cognitives et émotionnelles.

L’ergonomie cognitive s’intéresse donc aux processus mentaux, tels que la perception, la mémoire, le raisonnement et les réponses motrices, dans leurs effets sur les interactions entre les personnes et d’autres composantes d’un système.

– C’est aussi aider le salarié à se représenter la notion de « Travailler seul ». Pour cela, les outils issus de la psychologie intégrative permettent de réfléchir de façon pragmatique à son équilibre psychique. Qu’est ce qui fait que je suis bien dans ma vie, que puis-je mettre en place ? l’individu passe ainsi d’une position subie à une position choisie.

– Accompagner au niveau individuel par des formations en écologie intérieure, c’est-à-dire la capacité à créer un environnement sécuritaire cognitivement et émotionnellement. Les outils que nous utilisons au cabinet sont ceux issus de la préparation mentale et permettent aux individus d’être acteur de leur santé psychique en développant leurs compétences comportementales. Là encore, il s’agit d’être acteur plutôt que subir.

Jean Poussin : Subir, c’est souffrir : c’est avec ce sentiment de passivité que je m’étais présenté devant ma psychologue. Elle ne m’a pas fourni une recette miracle. Elle m’a simplement montré que je n’étais peut-être pas si passif. Que j’étais capable de mouvement. Que j’étais vivant, en somme. Et j’ai réalisé que j’en avais beaucoup, de ces qualités comportementales. Je suis devenu un expert en soft skills. Il en sortait de partout.

En entreprise, les psychologues et les philosophes s’invitent de plus en plus pour aider à créer des espaces de pensée. Les sollicitations concernent la formation et l’accompagnement des managers à gérer la charge mentale. C’est-à-dire travailler autour de la gestion de la charge cognitive et la charge émotionnelle, pour eux et leurs salariés.

Pour cela, les outils issus de l’ergonomie cognitive, les nouvelles technologies, la préparation mentale et le développement des soft skills sont des atouts précieux car ils mettent en avant les ressources, la capacité de création et d’apprentissage. Ce sont à eux seuls des outils modérateurs du stress car ils mobilisent le sentiment de compétences, la relation aux autres et la capacité à agir de façon concrète. Ainsi peut se faire jour une nouvelle conception de soi au travail.

Jean Poussin : Un jour, dans l’ascenseur qui monte jusqu’au bureau, je n’ai plus vu ce regard de chien battu dans le miroir. J’y ai vu un homme plutôt bien, quelqu’un avec qui on pourrait avoir envie de travailler. Voire, de bavarder. Pourquoi pas.

Les managers sont aussi en demande d’un espace individuel, et personnel où ils peuvent penser le travail avec un tiers. Notre rôle est de préparer les managers à ce changement avec des outils adaptés dans un espace sécure telle que les consultations de psychologie, où ils peuvent venir déposer leurs doutes.

De façon concrète, en entreprise, les interventions se matérialisent autour de la création des routines du vivre-ensemble, des rituels de liens et de liant, des rendez-vous « authentiques ».

« Comment former du « ensemble » au travers de l’exécution des tâches et d’autres activité relationnelles » ?

Une autre piste est de créer des espaces pour les managers et les équipes sur les questions de culture d’entreprise. Les us et coutumes à l’œuvre dans les entreprises sont fortement remis en jeu par les changements actuels.

En tant que psychologue, préserver la santé mentale c’est définir des espaces de régulation de la pratique pour rompre le vécu d’isolement, penser le travail, et permettre aux individus d’acquérir une vision systémique et non plus linéaire. Trois modérateurs de stress peuvent être repérés : le sentiment de compétences, le soutien social perçu et le sentiment de contrôle, trois leviers qui doivent être au cœur de la pratique managériale.

En situation de télétravail, il convient de structurer clairement le travail en termes d’attente, de fixation d’objectifs, de moyens et de résultats attendus.

La question de la résilience organisationnelle sera un enjeu, une nouvelle conception de la société, un nouveau projet de société. Quel travail est valorisé lorsqu’on ne le voit plus, quelles attitudes à avoir ? quelles sont les sources de reconnaissances au travail ? L’un des principaux facteurs de nuisance mentale est l’insécurité et la difficulté à se projeter dans l’avenir.

Mon rôle, en tant que psychologue du travail, est de mettre des mots sur des maux, d’apporter du sens. Il s’agit d’amener le patient à une lecture du réel, et de créer un espace d’élaboration autour de ces changements. Le sens du travail a changé. Pour ma génération, les quarantenaires, le travail était une finalité en tant que telle, une condition de réalisation de soi.

Aujourd’hui si vous interrogez des personnes de 30 ans, le travail n’a plus la même valeur, il est un moyen au service de l’existence. Une finalité autre.

Penser le travail comme une finalité est un non-sens et conduit à des dangers. Au contraire, le travail doit être pensé comme un moyen un outil au service de son existence. Accompagner la santé et préserver le psychisme des salariés, c’est aussi leur permettre de négocier les conditions de ce télétravail selon une triangulation individuelle, collective et managériale avec au cœur la question des objectifs.

Préserver la santé mentale c’est permettre de structurer, créer des repères au travers de routines, d’attendus, de visibilités du travail.

Pour être bien, l’individu a besoin de repères sécuritaires, qui vont lui permettre de comprendre les nouvelles règles du jeu et donc de mettre en œuvre des ressources en termes de compétences mais aussi d’émotion, de créativité, de motivation.

La dépression vient en fait d’une perte de sens, une non-compréhension des attendus, une perte de repères et une absence de possibilité de participation à l’élaboration d’un nouveau projet collectif.

Nos consultations sont donc investies parce que ce sont des lieux sécuritaires. Nous aidons à l’élaboration du sens, en permettant à la personne de travailler autour d’une vision intégrative et non séquentielle. Nous sortons du débat stérile et étroit de la question vie au travail / vie hors travail mais offrons vision systémique et intégrative. S’il est capable de penser en système, l’individu est alors en capacité de créer les conditions de son bien-être par l’élaboration de repères et concrètement par la mise en action de ses ressources.

Penser en système : c’est la plus belle chose que ma psy m’ait apprise. Au début, j’étais émietté, dispersé, éparpillé. Je ne voyais que des morceaux sans lien les uns avec les autres, et c’était triste. Je vivais des mondes séparés. C’était triste, et c’était fatigant. Et puis j’ai commencé à voir les liens. Ou à faire les liens, c’est un peu la même chose, au fond. J’ai commencé à voir les dessins apparaître, comme dans ce jeu où l’enfant doit relier les points dans l’ordre et hop, voilà la licorne, le Père Noël.

Jean Poussin : Je ne voulais pas lui parler du travail, à ma psy, il n’y avait que moi qui m’intéressait. Avec une cloison étanche entre les deux. Elle n’a pas cherché à m’entraîner sur le terrain du travail. J’ai parlé librement. Laissant le travail dans son coin. Elle m’a laissé trouver tout seul, en quelque sorte. J’imagine qu’elle savait très bien où nous allions.

Et puis finalement, un jour, j’étais là, devant la porte du travail. J’y étais revenu sans m’en rendre compte, et la porte, j’avais envie de l’ouvrir.

Epilogue / Afterwork

Souvent je me retrouve à boire des bières avec des collègues. Parfois plus d’une bière. Parfois cela dure très tard. Il y a un an, une telle chose aurait été impensable. Lorsque revient mon vieux moi, mon moi séparatiste, il trouve ça très étrange. Puis je reprends une bière, je souris à mes collègues, et le monde retrouve sa cohérence.

Je saurais, maintenant, être efficace en télétravail. Je saurais être productif. Je suis organisé, motivé et je peux contribuer à un projet commun. Pourtant je redoute le moment où l’on me renverrait chez moi. Mes collègues me manqueraient trop, et puis, ils ont besoin de mes soft skills. Je ne suis pas sûr que mes compétences humaines soient toutes télétransmissibles.

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